Pleurer de JOIE – AD GALERIE 2018

  Rythme, mémoire et évidence… La formule pour synthétiser une histoire. En extraire la sincérité. De HorseS, BullS and Girls  à Blending Cultures, Crespel aura poursuivi un seul objectif : lui-même. Comprendre sa peinture a permis de saisir ses préoccupations. Ou l’inverse. Si l’adolescent s’attardait sur de multiples modèles, l’adulte a balayé cette effervescence jusqu’à se concentrer sur une seule femme. Toutefois, le binarisme n’a jamais caractérisé sa dynamique et nous savons à présent que l’épouse, comme modèle, n’aurait sans doute plus intéressé le peintre sans son travail de muse et les propositions qui en découlent. De même, si les premières toiles cumulent les informations –et, avec elles, les affirmations –, les compositions récentes, à l’inverse, privilégient un phrasé unique qu’elles accompagnent d’harmonies puissantes. Telle une mazurka de Chopin, la mélodie brille tant par sa subtilité que par son apparente facilité. Derrière, par contre, l’usage des temps et des accords assure la teneur émotionnelle de la proposition et éloigne considérablement l’œuvre des pièces pour enfants. Pleurer de J.O.I.E. relève de ce mouvement. De cette dialectique. Le rythme et les accents au service de la simplicité pour atteindre la transparence dont on a manqué par le passé.

Hier et aujourd’hui. Encore une fois. Blending Culturesmatérialisait l’autocritique. Pleurer de J.O.I.E.touche à la rémission. Derrida affirmait que le pardon réclame la mémoire. De la faute et du coupable. Dans l’histoire Crespel, ni péché ni pécheur. Une blessure cependant. Une plaie cicatrisée dont la souvenance irradie tout futur. Que l’on s’en rappelle : pas de liberté dans l’oubli. J.O.I.E.ne pouvait donc pas mourir. Encore moins par omission ou silence. Et puisque d’hier il s’agit, Cédrix s’empare des autoportraits tirés par Tiphaine à l’époque. Les premiers. Crus. Désespérés. Intenses. Des esquisses plus proches du documentaire que du fashion film. Elle y rampe. Elle y tend le bras. Elle appelle. Un cri qui résonne et s’écoute à présent.

Plastiquement, le peintre poursuit le chemin engagé depuis XXLet favorise la physicitécomme la sensorialité du travail pictorial. La seule trace figurative demeure le portrait de sa muse. Autour s’organise un feu de sensations. Par contre, les cadrages que Tiphaine choisit forcent tous la profondeur de champ. Le visage occupe le premier plan tandis que le corps s’engouffre dans un abyme dessiné par la perspective. L’angoisse part du regard et s’étend jusqu’au point de fuite. L’intelligence graphique et sensitive de Cédrix ne pouvait évidemment gâcher l’invitation. Il renforce donc cette sensation d’avalement. Toute sa construction sensorielle accompagne la direction du mouvement. Les à-plats relèvent les contrastes entre ombres et lumières. Les vecteurs, simultanément, dirigent le regard et déterminent, par leur agencement ou leur chromatologie, le rythme comme l’interprétation. Une convergence entre la figure et les accents apportés prend ainsi forme. Mieux ! Pour la première fois, Crespel efface les limites qui séparaient l’objet des nuances qui l’appuient. Un procédé comparable aux essuyés qu’utilisait Bacon. Les tons chair dépassent les frontières du corps et se mélangent aux éléments de rythme et d’intensité. La synthétique pop, protagoniste jusqu’ici, s’ouvre ainsi à une chromatologie plus organique. De même, Cédrix libère la figure dans sa dimension expressive et n’hésite pas à la priver de certains attributs. Afin d’exacerber la dynamique sensorielle de la composition, les questions de représentation et de beauté passent au second plan. Ce qu’il traquait autrefois dans la narration s’amplifie maintenant par l’évidence propre au langage peinture.

 Un paradoxe toutefois. Malgré la désespérance qui anime les clichés originaux, Pleurer de J.O.I.E.ne sombre pas dans la tristesse. Les tons conservent une certaine flamboyance, les appendices dynamisent et les mouvements demeurent vivants. Il n’y a là ni requiem ni complainte. Tout au plus une légère mélancolie. L’élan s’approche plus de la noce que de la rupture. Un choix excessivement logique et compréhensible si l’on veille à l’entendre. Car pourquoi se morfondre ? Ce jadis, aujourd’hui assumé, ne peut qu’être célébré. Mûrir nécessite le bagage informatif de la souffrance. Les évolutions coûtent. Le résultat cependant s’apprécie. Alors, certes, les larmes ont coulé. Certes, le couple a souffert. Mais, s’il doit encore en pleurer, que ce soit de joie…

 

  Rhythm, memory and evidence: the formula that summarises a story. Extracting the sincerity from it. From HorseS, BullS and GirlXto Blending Cultures, Crespel pursued only one goal; himself. Understanding his art helped the understanding of his concerns. Or the other way around. While the teenager lingered on various models, the adult swept all the effervescence away to culminate by focusing on a single woman. However, his dynamics have never been characterised by binary oppositions. We also now know that the wife, as a model, might no longer have interested the artist, had she not worked as a muse, and hence made new proposals. Similarly, while the first paintings used to accumulate information, and with it, affirmations, his more recent compositions, instead favour a unique phrasing accompanied by powerful harmonies. Like in Chopin’s mazurkas, it is the subtlety as much as the deceitful apparent ease, that make the melody shine. Yet the use of tenses and concordances in the background ensure the emotional content of the proposal and make the mazurka far from easy to play. Pleurer de J. O. I. E.belongs to this movement. To these dialectics. Rhythm and accentuations are at the service of simplicity in order to achieve a transparency that was missing in the past.

Yesterday and today, once again. Blending Culturesmaterialised his self-criticism. Pleurer de J.O.I.E.is more about remission. Derrida argued that forgiveness calls for memory. Fault and guilt. In Crespel’s story, there is neither sin nor sinner. An injury, perhaps. A healed wound which, depending how we remember it, will determine the way we perceive the future. We must not forget that there is no freedom in oblivion. This is why J.O.I.E.could not die. Even less by omission or silence. Since we are talking about yesterday, Cédrix returns to Tiphaine’s old self-portraits. The first ones. Raw. Desperate. Intense. Sketches that looked more like a documentary film than a fashion film, in which she crawls. She stretches an arm. Calls out. Her cry still echoes today.

 Plastically, the painter continues the journey initiated with XXL and concentrates on the physicityand sensorialityof his art. The only figurative trace left is the portrait of his muse. Around it a fire of sensations burns. Nevertheless, the framing chosen by Tiphaine forces a certain depth of field. The face occupies the foreground while the body is engulfed into perspective. Anxiety starts with the eye and extends until a vanishing point. Cédrix’s graphic and sensory intelligence could certainly not ruin the invitation. Therefore, he stresses this swallowing sensation. All his sensory construction accompanies the direction of the movement. The flat tints highlight the contrast between light and shadow. Simultaneously, the vectors direct the eye and with their disposition or colour, determine the pace as well as the interpretation. This leads to a convergence of the figure and the accents. For the first time, Crespel erases the limits that separate the object from the nuances supporting it. This can be compared to Bacon’s habit of wiping the paint. Fleshy tones extend beyond the boundaries of the body and mix with the elements of rhythm and intensity. The pop synthetics, so far a main character, open up towards a more organic colour palette. Similarly, Cédrix liberates the figure in its expressive dimension and does not hesitate in depriving it of certain attributes. To exacerbate the sensorial dynamics of the composition, the concerns about representation and beauty are relegated to the background. What he used to seek in narrative is now amplified by the evidence so special to the language of painting.

 This is however, a paradox. Despite the despair found in the original images, Pleurer de J. O. I. E.does not sink into sadness. The tints retain a certain degree of flamboyance, the appendices create dynamics and the movements remain lively. There is neither a requiem nor a complaint. A slight melancholy at the most. The momentum is closer to a wedding than to a break-up. An excessively logical and understandable choice if you care to hear it. Why whine? Once the past has been assumed, it can only be celebrated. Maturing requires the informative baggage of suffering. Evolutions cost. Yet the result can be appreciated. Then, certainly, tears have been shed. The couple has undoubtedly suffered. But if they still have to cry, let it be of joy.